Numéro 11,
10 février 1997


Dans la foulée de la vache folle

Près d'un million pour le développement de collagènes synthétiques


Serge A. St-Pierre

Ce n'est pas un hasard si Haemacure Corporation, entreprise de biotechnologie*, s'intéressait récemment au laboratoire des peptides que dirige Serge A. St-Pierre, chercheur rattaché au département de chimie. Au point de verser à l'Université du Québec à Montréal la somme de 750 000 $ sur trois ans, pour la réalisation d'un important contrat de recherche sous sa responsabilité; à ces sommes se greffe une subvention Université-industrie du Conseil de recherches médicales du Canada (76 000 $ par année pour la même période), également accordée à M. St-Pierre, celui-ci devenant ainsi le seul chercheur de l'UQAM à en bénéficier. Au total, près d'un million $ de financement, donc, destiné à financer un projet R&D d'envergure, en lien semble-t-il avec un événement d'actualité internationale: la maladie de la vache folle ...

Celle-ci, rappelle Serge A. St-Pierre, a d'abord semé la panique en Angleterre puis dans la communauté européenne; et elle pourrait bien gagner l'Amérique depuis l'apparition récente de cas d'encéphalopathie spongiforme transmissible, relié notamment à la consommation de produits d'origine bovine contaminés. Cette maladie s'apparente, chez l'humain, au syndrome de Creutzfeldt-Jacob (SCJ). "Les collagènes, explique M. St-Pierre, forment une famille de protéines qui représentent la composante la plus abondante du corps humain. Or le collagène bovin est largement utilisé dans l'industrie biopharmaceutique comme substance biodégradable, comme matériel injectable en chirurgie cosmétique, et même dans la formulation de crèmes réjuvénantes en cosmétologie." Sans compter la présence importante des gélatines dans le secteur alimentaire, "un produit du collagène dénaturé". La méfiance croissante du public face au collagène bovin et de ses dérivés n'a donc rien d'étonnant.

Serge St-Pierre ayant développé ces dernières années, dans son laboratoire**, une série de peptides synthétiques analogue au collagène naturel mais exempt de contaminants possibles, on comprend l'intérêt que lui porte Haemacure Corporation: il s'agit en effet d'un complément prometteur à sa propre découverte, l'Hemaseel, un adhésif chirurgical breveté par cette entreprise, présentement au stade des études cliniques; ce produit est destiné à remplacer les sutures en chirurgie. Or il appert que la découverte de Serge A. St-Pierre permet d'améliorer cette sorte de "colle époxy biologique" qu'est l'Hemaseel, notamment ses propriétés biomécaniques (tension, rigidité, élasticité...), le rendant ainsi adaptable aux divers usages et situations auxquels on le destine (chirurgie lourde de type cardiovasculaire, pulmonaire, hépatique; chirurgies plus mineures de nature esthétique, ophtalmologique, ou visant la guérison des plaies superficielles; etc.).

Le contrat de recherche conclu entre l'UQAM et Haemacure Corporation a pour titre: Peptides synthétiques utilisables comme substituts au collagène naturel dans la préparation d'adhésifs chirurgicaux, de biomatériaux et de systèmes de relargage. Son but: le développement et la commercialisation de produits pouvant éventuellement remplacer le collagène naturel dans ses nombreuses applications biomédicales, cosmétiques et même alimentaires. "Un marché potentiel de plusieurs milliards de dollars à l'échelle mondiale, selon M. St-Pierre, sans compter les retombées scientifiques et médicales." Notons que Mme Hélène Thibault est intervenue au dossier pour le Bureau de liaison pour la recherche et le développement de l'UQAM. Du côté d'Haemacure Corporation, le principal interlocuteur et porte-parole a été et demeure son président, M. Marc Paquin. De son côté, l'UQAM retient, à partir de la signature du contrat en décembre dernier, les droits de propriété intellectuelle des découvertes. De même, les équipements et le matériel achetés par elle dans le cadre des travaux demeureront sa propriété exclusive. Si tout va bien, les premiers essais cliniques débuteront fin l997.


  • * Il s'agit d'une entreprise oeuvrant dans le domaine de la recherche, du développement et de la commercialisation de produits biologiques et biopharmaceutiques, particulièrement les adhésifs chirurgicaux, les biomatériaux et les systèmes de relargage de protéines destinés à la guérison des plaies.
  • ** Il y vingt-deux ans, Serge Saint-Pierre créait son laboratoire des peptides, qui l'a suivi dans ses déplacements professionnels: d'abord à l'Université de Sherbrooke, ensuite à l'INRS, et enfin à l'UQAM depuis mai l996. L'équipe qu'il dirige est actuellement composée de six assistants de recherche.