Depuis plus de vingt ans, Karen Messing poursuit ses recherches dans le domaine de la santé au travail, s'intéressant particulièrement à la santé des travailleuses. Changer les conditions de travail qui minent la santé des femmes, voilà l'objectif qui traverse l'ensemble des travaux de cette spécialiste de réputation internationale, professeure au Département des sciences biologiques et chercheure au Centre pour l'étude des interactions biologiques entre la santé et l'environnement (CINBIOSE). Dans un ouvrage récemment publié sous le titre La santé des travailleuses La science est-elle aveugle?, aux Éditions du remue-ménage, la chercheure entreprend un autre combat, celui de briser les résistances de la communauté scientifique à saisir les aspects « invisibles » du travail effectué par les femmes.
Ces maux sournois
issus de l'invisible
Les problèmes de santé des femmes au travail semblent difficiles à cerner, tant par les employeurs, les scientifiques ou les décideurs que par les travailleuses elles-mêmes, note Mme Messing. En examinant les conditions de travail des caissières, secrétaires, serveuses, enseignantes, infirmières, travailleuses d'usine, téléphonistes, préposées à l'entretien1, la chercheure a constaté les effets néfastes de leurs conditions de travail. « La station debout prolongée, par exemple, entraîne des douleurs et des troubles circulatoires. Les mouvements répétitifs des ouvrières des abattoirs de volaille qui travaillent à la finition des coupes, tout comme les 7 900 mouvements à l'heure des travailleuses des biscuiteries provoquent des microtraumatismes ». Mais les normes ne sont pas faites pour ce type de travail, sans sueur ni poids de 50 kilos. Les mécanismes de prévention, par exemple, élaborés par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), comprennent six groupes d'industries prioritaires. « On y retrouve une très belle courbe mathématique, explique la chercheure : plus les femmes sont présentes dans un secteur, plus on est en bas de l'échelle des priorités de l'organisme, et moins il y a de comité de santé/sécurité ».
De la recherche-action
aux constats critiques
Pourquoi les responsables de la recherche et de l'intervention en matière de santé au travail ne s'intéressent-ils pas aux problèmes de santé au travail des femmes? « C'est un enchaînement, explique Mme Messing : tu penses que ça n'existe pas, donc tu ne le cherches pas, et tu ne le trouves pas! » Étayé de nombreux exemples concrets, de témoignages de travailleuses et de données statistiques, l'ouvrage de Mme Messing propose une réflexion critique étoffée. Après trois chapitres consacrés aux différences entre hommes et femmes en matière de travail, de santé et de biologie, l'auteure traite de la science nord-américaine en tant qu'institution sociale. Qui peut accéder au milieu scientifique, comment prennent naissance les projets de recherche et comment se transforment-ils en savoir scientifique? L'ouvrage présente ensuite en détail le traitement scientifique de quatre problématiques
importantes, les troubles musculo-squelettiques, le travail de bureau, le stress émotionnel et les risques liés à la reproduction.
L'auteure suggère des changements dans les normes du travail, dans les programmes d'indemnisation et dans les politiques des entreprises, avant de conclure en proposant des solutions de rechange fiables aux méthodes de recherche actuelle. « Les scientifiques ne peuvent voir qu'à travers les outils qu'ils ont ». En leur en fournissant d'autres, celle qui carbure aux tâches difficiles suscite une réflexion qui va plus loin que simplement secouer quelques vieux mythes.
1. Plusieurs de ces recherches se sont déroulées dans le cadre du projet L'invisible qui fait mal, un projet de type
recherche-action impliquant la collaboration d'une équipe multidisciplinaire du CINBIOSE et les comités de condition féminine des trois centrales syndicales (CSN-FTQ-CEQ).